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Dans nos archives il y a… le graphisme d’après-guerre

2025 est l’année où l’on commémore les 100 ans de la naissance de deux personnalités marquantes du graphisme de l’après-guerre : Robert Massin, dit Massin, et Jeanine Fricker.

On connait bien le premier au travers de nombreux articles et interviews donnés de son vivant. Mais beaucoup moins la seconde dont nous possédons le fonds d’archives à la Fondation des Treilles.

Tous les deux occupent tour à tour la direction artistique de Gallimard (ils retravailleront notamment le sigle de la Nrf dessiné par Jean Schlumberger) et à la suite de Pierre Faucheux, et dans le cadre de clubs qui venaient de se créer, ils entreprennent de rénover la présentation du livre, le domaine graphique des publications du ministère de la culture faisant partie des préoccupations d’André Malraux. Dans ce cadre ils réaliseront non seulement les catalogues et les affiches des grandes expositions mais on leur demandera également de revoir la typographie de nombreux documents administratifs, voire celle des menus de l’Elysée…

Nous vous proposons aujourd’hui de faire plus ample connaissance avec l’univers de Jeanine Fricker disparue en 2004 à l’âge de 79 ans en lui laissant la parole par la retranscription ci-dessous d’une rare interview largement méconnue qu’elle donna dans le Bulletin du livre du 15 décembre 1972.

Jeanine Fricker (45 ans) est une des rares femmes graphistes dont l’activité soit principalement consacrée au livre. Depuis sept ans, elle dirige son propre atelier, situé dans un magnifique hôtel du XVlllème siècle, au cceur du Marais.

  • Comment avez-vous débuté ?

EIevée dans un milieu cultivé, j’ai suivi les cours de l’Ecole du Louvre, mais je n’ai pas reçu de formation professionnelle précise. A 22 ans, je me suis passionnée pour les problèmes de la typographie, ce qui m’ a conduite tout naturellement vers mon métier actuel. J’ai commencé par faire divers stages, chez Deberny et Peignot notamment ; vers 1950, un court passage au service de publicité de Larousse. Mes vrais débuts de metteur en page ont eu lieu au Club du Meilleur Livre où j’ai fait la connaissance de Massin. C’est là que j’ai sorti mes premiers livres dont La joie, de Bernanos. J’ai quitté le Club du Meilleur Livre vers 1954 et je me suis mise à mon compte.

  • Pour quels éditeurs avez-vous travaillé ?

Tout d’abord pour Ie Club du Meilleur Livre où j’ai été, en particulier, à I’origine de la série classique  Astrée. Puis j’ai réalisé les maquettes de plusieurs volumes de la collection L’univers des formes de Gallimard, comme L’Océanie et L’art grec ; celles d’une quarantaine de titres de la série ” Les jeunes bibliophiles” de Gautier-Languereau. J’ai fait des couvertures pour Fayard, Stock, etc…, des mises en page pour Réalités. Je me suis ensuite occupée au Livre de Poche de la série  “Art”, dirigée par André Fermigier, et dont les premiers volumes ont été les Elie Faure. J’avais la responsabilité non seulement des maquettes mais également de I’iconographie. La série a malheureusement élé interrompue pour raisons de rentabilité.

Actuellement je travaille pour Tallandier qui m’a confié l’édition du ” Cercle du Nouveau Livre”   vendu par correspondance. 300 titres environ sont déjà sortis dont j’ai assuré la maquette, Ia composition, la reliure, pour les séries “romans” et  “histoire”. Chez le même éditeur le Napoléon, d’André Castelot, a fait I’objet d’une édition illustrée et reliée à I’ancienne, ainsi que I’Histoire de Ia monarchie française, de Philippe Erlanger. C’est dans le même esprit que Je travaille actuellement à La fin des rois, du duc de Castries : I’idée de Tallandier est de présenter une vaste collection englobant 1 000 ans d’histoire. Les ouvrages sont de demi-luxe, reliés en toile ou en cuir car je déteste la matière plastique. J’utilise exceptionnellement du skivertex, à condition qu’il soit de qualité.

  • Vous vous occupez aussi, je crois, des catalogues des musées nationaux ?

Oui. Je suis attachée de mission sur le plan graphique auprès de la Création artistique, un service créé par André Malraux. Je réalise entre autres les catalogues, les affichettes, les cartons d’invitation des Musées de France ainsi que leur  Petit Journal  dont j’ai assuré personnellement les premtères mises au point- Le plus imoortant : les catalogues que j’ai voulus à Ia fois fonctionnels et tels que des albums d’art que I’on peut consulter chez soi après la visite des expositions. C’est ainsi que jai fait le catalogue de l’Ecole de Fontainebleau dont I’exposition est présentée au Grand Palais, ceux de Picasso et de Toutankhamon. ll s’agit d’un travail souvent difficile car ces catalogues doivent etre imprimés en un temps record.

  • Quelle est votre équipe ?

Nous sommes cinq en tout. Notre métier conserve un aspect artisanal, auquel je tiens beaucoup. A partir du moment où un livre nous est confié, il devient un peu “nôtre”. Nous nous devons d’écouter les désirs des éditeurs et ceux des représentants – qui ne voient que le côté commercial. Mais, cela fait, nous avons besoin d’une totale liberté. Si le livre est raté, libre à l’éditeur de le refuser.

  • Comment choisissez-vous les caractères ?

ll faut oublier ses préférences et s’effacer complètement clerrière une oeuvre et son auteur. Les seuls impératifs pour le choix de la couleur, du graphisme, des caractères sont dictés par le texte qu’on doit présenter, la sensation qu’on en retire. On utilise pas les mêmes caractères pour un livre de Sagan et un titre de Cau.

  • Vous êtes Ia première femme que je rencontre dans votre profession. Est-ce un hasard?

Beaucoup de jeunes filles d’aujourd’hui sont attirées par le maquettisme, la mise en page, la reliure mais elles préfèrent souvent travailler dans la publicité, ne serait-ce que pour des raisons financières. En outre I’édition est plus absorbante. Pour nous, les “week-ends” n’existent pas.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
ldiebold (3 octobre 2025). Dans nos archives il y a… le graphisme d’après-guerre. Les carnets de la Fondation des Treilles. Consulté le 10 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14ul6