Dans nos archives il y a…un coeur innombrable
Ce cœur c’est celui d’Anna de Noailles, romancière et poétesse française née en 1876 dans une riche famille de la noblesse roumaine et comtesse par son mariage avec Mathieu de Noailles en 1897. Son premier recueil de poèmes, paru en 1901 alors qu’elle a à peine 25 ans, connait un franc succès auprès du Tout-Paris. Le cœur innombrable sera couronné par l’Académie française en 1920 et ces « poèmes-miroirs, au naturisme spontané et savoureux, provoquent chez toute la jeunesse une sorte de délire. » [1]
Qualifiée par Rilke de « petite déesse impétueuse » Anna de Noailles est l’auteure de neufs recueils de vers, de quelques romans et nouvelles ainsi que d’une autobiographie Le livre de ma vie, dont le récit sera interrompu par son décès en 1933 à l’âge de 56 ans. Nourrie des poètes classiques comme Ronsard ou romantiques comme Baudelaire elle échappe aux écoles et aux influences contemporaines. Femme engagée (militante de l’affaire Dreyfus), femme exaltée et sincère, elle manifeste au travers de ses vers un profond attachement à une nature exubérante et encore sauvage.
Première femme à accéder au grade de commandeur de la Légion d’honneur en 1931 elle est à l’origine de la création du Prix Femina en 1922, initialement nommé Prix Vie heureuse, du nom de la revue éponyme.
Bien intégrée au milieu littéraire parisien de son époque elle fréquence de nombreux écrivains dont Marcel Proust qui se montre particulièrement enthousiaste à la lecture de son œuvre et qui restera un proche jusqu’à son décès en 1922. Dans L’intransigeant du 21 novembre la poétesse fait paraître un Adieu à Marcel Proust où elle loue « le génie obsédant » de l’auteur qui lui a permis de conquérir pour toujours « la place magnifique de ceux qui satisfont pleinement l’intelligence ». Elle participera également à l’hommage collectif donné dans la Nouvelle Revue Française en janvier 1923.
Deux autres écrivains, bien connus de nos archives, compteront également dans la vie d’Anna de Noailles.
André Gide tout d’abord qu’elle rencontre en 1901 et avec lequel elle entretiendra une correspondance nourrie de curiosité et d’admiration mutuelle même si l’auteur de Paludes fait montre d’une certaine sévérité à son égard dans sa préface à l’Anthologie de la poésie française parue en 1949 : « Sa grande erreur est d’avoir toujours préféré les louanges aux critiques. De là sans doute la déplorable inconsistance de ses vers, son complaisant abandon aux plus faciles pâmoisons.»
Il avait pourtant chaudement recommandé la publication dans la NRF de deux textes d’Anna de Noailles « dont la signification l’enchante », comme il l’écrit dans une lettre qu’il adresse à Jean Schlumberger en juillet 1910.
Jean Schlumberger ensuite, ami fidèle d’Anna de Noailles de 1909 à 1933 (elle collaborera à la NRF en 1910 et 1911) et dont nous possédons dans nos fonds la cinquantaine de lettres que lui adressera la poétesse de 1910 à 1921. Il s’agit essentiellement d’échanges ayant trait aux contributions que cette dernière envoyait à notre auteur pour parution dans la revue. Au ton des lettres l’on sent qu’Anna de Noailles a pleine confiance en Jean Schlumberger dont elle apprécie les conseils… Sont joints à ce corpus sous reliure deux brouillons de lettres de l’oncle de notre fondatrice et quatre pages d’un texte d’Anna, Les soldats sur la route, poème qui sera publié en 1913 dans le recueil Les vivants et les morts.
Dans Rencontres Jean Schlumberger narre sa visite chez la poétesse qui évoque sa façon d’écrire : « Elle m’avoue qu’elle les [les vers] retouche rarement ; que ses meilleurs poèmes sont venus d’un jet, plus vite parfois qu’elle ne pouvait les écrire ; ainsi l’Ode à un coteau de Savoie, qui est un de ses meilleurs poèmes de son dernier recueil. Elle m’avait reproché jadis de vouloir lui faire mordre, comme disait Mallarmé, le citron d’or de l’idéal amer. »
Dans les archives du Fonds Flament sont également conservées trois lettres d’Anna de Noailles, adressées à notre critique littéraire et artistique, dont elle loue les qualités d’écrivain en évoquant notamment son ouvrage La vie amoureuse de Lady Hamilton. Comme dans son œuvre le ton des lettres est empreint de lyrisme et de verve romantique.
Anna de Noailles a été inhumée au Père Lachaise, mais son cœur… innombrable… sera, quant à lui, embaumé et repose depuis dans une urne placée au centre du temple du parc de son ancien domaine d’Amphion-les-Bains.
Etranger qui viendras, lorsque je serai morte,
Contempler mon lac genevois,
Laisse que ma ferveur dès à présent t’exhorte
A bien aimer ce que je vois.
Les Forces éternelles (1920)
[1] André Gide-Anna de Noailles. Correspondance 1902-1928. Claude Mignot-Ogliastri. CEG, 1986.
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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
ldiebold (5 septembre 2025). Dans nos archives il y a…un coeur innombrable. Les carnets de la Fondation des Treilles. Consulté le 10 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14lm6









