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Les conflictualités du patrimoine

Atelier de recherche organisé par Vincent Négri et Mathilde Leloup du 7 au 12 avril 2025.

Participants

Vincent NEGRI (Institut des Sciences sociales du Politique – UMR 7220 – Gif sur Yvette, France), Mathilde LELOUP (Université Paris VIII (Laboratoire CRESPPA) – Saint Denis, France), Sylvie SAGNES (UMR 9022 – Héritages – CERGY-PONTOISE CEDEX, France), Alice LOPES FABRIS (Brussels School of Governance/Vrije Universiteit Brussel – Bruxelles, Belgique), Flore HEINRICH (Institut des sciences sociales du politique (ENS Paris-Saclay) – Gif-sur-Yvette, France), Niki SIAMPAKOU (T.M.C. Asser Instituut – La Haye, Pays-Bas), Marie-Sophie DE CLIPPELE (UCLouvain Saint-Louis Bruxelles – Bruxelles, Belgique), Ambre TISSOT (ENS Paris-Saclay – ISP – Gif sur Yvette, France), Anne-Laure RIOTTE (INRIA – Nancy, France), Alix VINCENT (Institut des sciences sociales du politique (ENS Paris-Saclay) – Gif-sur-Yvette, France), Antoinette MAGET DOMINICE (University of Geneva – Genève, Suisse), Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF (Institut de hautes études internationales et du développement – Genève, Suisse), Mathilde BENOISTEL (Musée de l’Armée – Paris, France), Sophie BIARD (Ecole française d’Extrême-Orient – Paris, France)

Résumé

Buddha de Bamiyan, 55 mètres avant et après la destruction, © Minahatithan, CC BY-SA 4.0 ; Carl Montgomery, CC BY 2.0

Depuis le XIXe siècle, les États ont noué une responsabilité collective pour assurer – peu ou prou – la protection du patrimoine culturel dans les conflits qui les opposent. Cet ordre international se fissure sous la poussée de nouvelles formes de violences de masse et le développement d’un terrorisme international, qui cible les symboles que représentent notamment les patrimoines culturels. Le projet de recherche sur les conflictualités du patrimoine vise à comprendre pourquoi et comment ces nouvelles formes de violence ont conduit à reconfigurer le droit international ainsi que le rapport des sociétés et, partant, de la communauté internationale au patrimoine culturel. Par les apports croisés de disciplines dans le champ des sciences humaines et sociales, il s’agit de repenser, à nouveaux frais, les rapports entre le patrimoine et les conflictualités : les patrimoines comme cibles des conflits, ou objets des conflits, ou encore sources de conflits.

Abstract

Since the 19th century, States have implemented a collective responsibility to ensure – more or less – protection of cultural heritage in case of conflicts. This international obligation is challenging by new forms of mass violence and the development of international terrorism, which targets the symbols represented by cultural heritage. The aim of the research project on heritage conflicts is to understand why and how these new forms of violence have led to a reconfiguration of international law and to redefine the relationship between societies, international community and cultural heritage. Cross-disciplinary contributions in the field of human and social sciences, the aim is to rethink, in a fresh way, the relationship between heritage and conflict: heritage as a target of conflict, or as the object of conflict, or as a source of conflict.

Compte rendu

Depuis le début des années 2000, la guerre, qui avait jusque-là résumé la manifestation de la violence ultime des rivalités entre Etats, n’est plus la seule expression des conflits. D’autres formes de violences et de barbaries ont percuté nos sociétés – le terrorisme international en est une des expressions – et le vocabulaire des conflits a progressivement absorber ces violences collectives. Sous ces différentes formes de conflits, la culture et le patrimoine des populations et des communautés demeurent une cible ; il n’est que de citer la destruction, par des groupes terroristes entre 2012 et 2015, de sites classés sur la Liste du patrimoine mondial de l’humanité au Mali, en Irak et en Syrie. S’en suivra une intégration du patrimoine culturel dans des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Ce qu’expriment alors ces résolutions est une inscription de ces atteintes au patrimoine culturel parmi les motifs qui attestent d’une remise en cause de la paix et de la sécurité internationale – pilier qui fonde les interventions du Conseil de sécurité ; et, ce qui se joue dans ce tournant est une réévaluation de la fonction et des assignations du patrimoine culturel dans les relations internationales et dans le droit international.

Ce projet de recherche, articulé sur les conflictualités du patrimoine, est ancré dans cette réalité. Il vise à comprendre pourquoi et comment ces différents évènements ont conduit à reconfigurer le rapport des sociétés et, partant, de la communauté internationale au patrimoine culturel. Il s’agit également de saisir les nouvelles formes de conflit. Si la guerre est l’expression sans doute classique du conflit armé, l’emploi du terme conflictualités permet de considérer, en complément, d’autres figures du conflit et d’inclure la potentialité de violence, la menace, ou les rapports de rivalité. A la suite de Kenneth E. Boulding, les conflictualités pourraient désigner des situations de compétition dans laquelle les parties sont conscientes de l’incompatibilité de leurs positions futures potentielles et dans laquelle chaque partie souhaite occuper une position incompatible avec les souhaits de l’autre[1]. La notion de conflictualités recouvrirait ainsi la polymorphie des conflits contemporains et les revendications pour recouvrer des patrimoines dispersés.

Pour explorer et mettre en lumière les voies selon lesquelles le patrimoine culturel est au cœur – cible – de conflictualités, mais également la source de conflictualités, l’atelier de recherche tenu aux Treilles du 7 au 12 avril 2025 a réuni quatorze spécialistes relevant de différentes disciplines de sciences humaines et sociales – histoire, histoire de l’art, anthropologie, science politique et droit.

Les contributions thématiques préparées en amont de l’atelier, présentées par leurs autrices et auteur et discutées collectivement lors des séances de travail aux Treilles, ont permis, dans des interactions interdisciplinaires, de conforter l’intérêt et la pertinence de cette entreprise réflexive sur les conflictualités du patrimoine. A partir de ces travaux, a été posée la structure d’un ouvrage qui collectera les contributions, comme autant de chapitres de cet ouvrage.

La finalité d’un tel ouvrage pluridisciplinaire est de démontrer que le patrimoine culturel, souvent considéré comme un enjeu secondaire dans les crises internationales (qu’il s’agisse des conflits armés, de revendications de territoires ou de catastrophes naturelles), est un point d’entrée heuristique pour comprendre l’évolution actuelle de la scène internationale. Il s’agira également de combler une lacune : de nombreux travaux académiques ont été publiés en droit, en science politique et en archéologie sur la question du patrimoine culturel dans les conflits armés et son traitement par le droit international ; ce sujet ne fait cependant pas l’objet d’approches interdisciplinaires, à même de le saisir dans toute sa complexité. Dix ans après la parution du volume Le patrimoine culturel, cible des conflits armés, sous la direction de Vincent Négri, aux éditions Bruylant (2014), ce nouvel ouvrage, qui a mûri aux Treilles, a pour ambition de saisir les mutations et les évolutions de la protection des biens culturels dans toutes les formes de conflictualités, telle qu’elles s’expriment dorénavant, tant dans le droit international public et le droit international humanitaire que les relations internationales.

L’atelier de recherche aux Treilles a été le moment-clé d’un décloisonnement disciplinaire, à même de mettre en lumière ces évolutions par les apports croisées de disciplines dans le champ des sciences humaines et sociales. Il s’est agi de repenser, à nouveaux frais, les rapports entre le patrimoine – sans doute devrions-nous plutôt considérer les patrimoines – et les conflictualités : les patrimoines comme cibles des conflits, ou objets des conflits, ou encore sources de conflits ; conflits d’intensité variable, engageant des acteurs différenciés – du propriétaire ou possesseur jusqu’à l’Etat ou la collectivité nationale, voire supranationale, en envisageant également des prises de position par des communautés ou groupes sociaux infra-étatiques ou trans-étatiques – et relevant de différents cercles de responsabilités. C’est dans ces hiérarchies, rivalités et rapports d’autorité que s’institue la dimension politique du patrimoine, armée par le droit.

[1] Kenneth E. Boulding, Conflict and defense. A general theory, New-York, Harper & Row Publishers, 1963, pp. 5-6. Notre traduction.

 

Lien vers la vidéo Youtube


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
ldiebold (9 juillet 2025). Les conflictualités du patrimoine. Les carnets de la Fondation des Treilles. Consulté le 7 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14b2x