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Court métrage – Trompe La Mort

Résidence de recherche d’Inès Loizillon (réalisatrice) du 2 au 13 juin 2025.

Résumé

Edie

Trompe La Mort prolonge mon obsession pour l’adolescence. Et scrute aussi l’intime. Je m’attèle dans ce nouveau scénario à une aventure autobiographique. À 15 ans, je suis tombée en anorexie. À 17 ans, j’ai commencé à être soignée par un psychiatre. Et dans ma 23ème année, j’ai passé un an en clinique psychiatrique. Cette année m’a façonnée à vie. M’apportant non pas un coup de gomme à toutes souffrances psychiques, mais une assise. Une assiette oserais-je écrire en pensant à ce terme de Montaigne, philosophe cavalier. À chaque baisse de régime de ma vie d’adulte, je mesure aujourd’hui combien cette hospitalisation longue et lente, m’a donné une force inouïe. Avec Trompe La Mort, je veux raconter cette expérience de la maladie.

Summary

Trompe La Mort (Cheat death) extends my obsession with adolescence. And also examines the intimate. In this new screenplay, I embark on an autobiographical adventure. At 15, I fell into anorexia. At 17, I began to be treated by a psychiatrist. And in my 23rd year, I spent a year in a psychiatric clinic. That year shaped me for life. Providing me not with an eraser of all psychological suffering, but with a foundation. A plate, I would dare to write, thinking of this term from Montaigne, the cavalier philosopher. With each decline in my adult life, I now measure how much this long and slow hospitalization gave me incredible strength. With Trompe La Mort, I want to recount this experience of illness.

Compte rendu

Edie est l’héroïne frêle et forte de mon scénario qui en dresse son portrait initiatique. Il dessine sa quête d’autonomie. J’aborde l’anorexie d’Edie par les signaux faibles qui crèvent les yeux. Edie est trop maigre pour être normale. Et il y a là un cri du corps. Elle déteste son corps, le prive de nourriture : façon de disparaître. Manière, maladroite, d’apaiser l’angoisse. Manière de contrôler. Soi, le monde, tout. Edie est une intellectuelle, passionnée de mots, férue de littérature, issue d’un milieu aisé. Elle est sophistiquée mais ce n’est pas une bête de mode. Elle ne s’exhibe pas sur les réseaux. Son anorexie est davantage culturelle. J’imagine une héroïne pleine de contradictions : désir de vie / désir de mort, élan / contrôle, fragilité/ force…

Aux Treilles, j’ai d’abord commencé par me concentrer sur les grands axes de réécriture. Tout d’abord, il s’agissait d’intensifier l’espace réfectoire, et notamment son potentiel d’horreur du point de vue d’Edie, puisque mon scénario s’attache à mettre en scène un regard, son regard : celui d’une jeune anorexique scrutant, découpant, vivant le monde à sa façon. Au réfectoire, j’ai décrit via une écriture assez synesthésique, la nourriture exposée sous toutes ses formes, crues, cuites, dures, molles, à travers les yeux, les sensations d’Edie. Cette nourriture qui délivre aussi des odeurs violentes et écoeurantes pour mon héroïne. J’ai dépeint la viande, les légumes, les sauces, comme des natures mortes ultra vivantes, tour à tour séduisantes, horrifiques, intimidantes, absurdes, drôles : tel qu’Edie la voit.

Cela m’a conduit à réinterroger la forme même du film. L’humeur de mon film sera traversée par 3 traits : la gravité, la légèreté, l’étrangeté. Le film se situe sur un angle de crête entre réalisme, humour, et film de genre. Je veux convoquer la monstruosité. Certaines séquences flirtent avec le gore (les cheveux qui tombent, l’ongle qui se casse, les poils qui poussent en excès, l’haleine fétide, les dents noires de terre). Je pense aussi à ce film incroyable, Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel de Laurence Ferreira. Je veux que Trompe La Mort oscille entre mélancolie et euphorie. À l’image du yoyo émotionnel qu’est l’adolescence, et de la psyché de l’addicte toujours au bord de la crise (l’anorexie est aussi une addiction sans substance). J’ai retrouvé mon humour quand j’ai guéri de mon anorexie. Je veux mettre en scène un humour piquant, mordant, parfois proche de l’ironie. Formellement, je rêve d’un film traversé d’ondes de choc, tel Shock Corridor de Samuel Fuller. Ces patients font peur et se font peur (on mange de la terre, on boit, on se drogue, on délire, on s’empiffre, on meurt). Je ne veux pas rater la dangerosité de ces comportements qui font du corps un étranger. Les rêves aussi incarnent le dérèglement mental de l’héroïne. Ils dégoulinent et échappent au contrôle diurne d’Edie. Du côté de l’excès, ils ripostent à la privation qu’Edie s’impose. La façon dont Buñuel tisse avec une liberté folle les rêves de son Charme discret de la bourgeoisie, me bluffe.

En outre, le second axe principal de réécriture a consisté à gommer le flou enveloppant, dans toutes les versions précédentes du scénario, le brusque départ du Dr Colère, qui quitte la clinique lorsque sa relation avec Edie déborde clairement du cadre thérapeutique, interrogeant ainsi des questions de normes, de lisières entre thérapeutique et non thérapeutique, protocole de soin formel et soin informel, institution et intimité.

J’ai ensuite remanié le scénario de manière plus détaillée. J’ai précisé la mort de Dolorès (personnage secondaire incarnant une autre anorexique, à un stade plus critique qu’Edie) qui pouvait encore être interprétée comme un suicide, alors qu’il s’agit ici plus explicitement da la mort du personnage. Edie confronte Dr Colère en lui posant la question et celle-ci lui répond directement. Edie contrecarre alors certaines rumeurs planant sur un éventuel suicide.

J’ai retouché la géographie de la clinique afin qu’on distingue clairement les différents lieux composant ce huis clos : réfectoire, bureau du Dr Colère, chambres des patients, immense parc… J’ai écrit une nouvelle séquence, écho aux séquences advenant dans le réfectoire et autre manière d’intensifier cet espace dédié au manger, véritable salle de torture pour Edie, jalonnant le scénario et qui s’incarne ici dans la chambre froide de la clinique où sont entreposés les aliments servant à la préparation des repas. J’y ai inventé une séquence de vol de carotte – qu’Edie donnera ensuite à manger au cheval, corps animal important du récit, lors de sa fugue au centre équestre.

J’ai précisé des personnages secondaires : la cheffe de clinique tyrannique, elle-même anorexique, Dr Grace Roux, qui incarne la rigidité parfois absurde de l’institution, contrepoint au Dr Colère dont les méthodes sont plus souples, plus atypiques voire poétique ; ou encore Blandine, personnage secondaire important, patiente à la maladie inconnue des autres patients.

Quant au style du scénario lui-même, j’ai procédé à un travail de coupes afin de rendre le texte plus vif, à l’image de l’inquiétude d’Edie et de son regard cut sur les corps : le siens, celui des autres. Il s’agissait de couper des plans, d’aller à l’os, de créer une cadence d’écriture (et de futur montage) aussi. De même pour la note d’intention accompagnant mon scénario: j’ai élagué tout le gras théorique qui masquait la forme sensible du film à venir. J’ai réduit ma note de 5 à 2 pages en faisant jaillir les idées et partis pris essentiel de mon travail.

L’autre pan de mon travail effectué aux Treilles a consisté en la lecture d’essais de philosophes principalement abordant le corps et la maladie sous différents angles. Ce travail consiste à me nourrir davantage intellectuellement qu’artistiquement. Mais il fait partie intégrante de la phase de recherche préalable et simultanée à mon écriture. Je retiendrai ici deux ouvrages qui m’ont particulièrement intéressée et émue : Puissance de la douceur d’Anne Dufourmantelle[1] et La maladie, catastrophe intime de Claire Marin[2].  

Enfin, j’ai également erré dans et butiné plusieurs ouvrages visuels, gonflant ainsi mon iconographie inspirant le scénario et le futur travail de l’image lors de la réalisation du film. Je retiens ici le superbe petit catalogue d’exposition Adolescences, dirigée par Claude Nori.[3] Ce travail contemplatif permis par le luxe du temps, et la disponibilité entièrement dédiée au travail de recherche intellectuel, artistique et poétique qu’il implique, ainsi que par la solitude enveloppée qu’offre la résidence, s’est prolongé d’un travail de collages d’images (issues de la presse, de livres de peinture et autres supports divers) que je pratique en parallèle de l’écriture afin de déployer d’une autre manière celle-ci.

[1] Anne Dufourmantelle, Puissance de la douceur, Rivages poche Petite Bibliothèque, 2022.

[2] Claire Marin, La maladie, catastrophe intime, Presses universitaires de France, 2014.

[3] Catalogue d’exposition collective dirigée par Claude Nory, Adolescences, Filigranes Edition


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
ldiebold (2 juillet 2025). Court métrage – Trompe La Mort. Les carnets de la Fondation des Treilles. Consulté le 16 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/1497s