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Scandalisation et tabou. Les politiques et les ambivalences de la visibilité/invisibilité des violences sexuelles dans les conflits armés

Participants

Fabrice VIRGILI (UMR SIRICE-CNRS – Aubervilliers , France), Jaeye BAEK (University of Massachusetts Amherst – Amherst, États-Unis), Aaron BELKIN  (San Francisco State University – Munich, Allemagne), Debra BERGOFFEN (George Mason University – Fairfax VA, États-Unis), Pascale BOS (The University of Texas at Austin – Burdine, UT Austin, Austin Texas 78712 , États-Unis), Kirsten CAMPBELL (Goldsmiths, University of London  – London, Royaume-Uni), Louise DU TOIT (Stellenbosch University – Stellenbosch, Afrique Du Sud), Julia GARRAIO (Centre for Social Studies of the University of Coimbra – Coimbra, Portugal), Anousheh HAGHDADI (Goldsmiths, University of London  – London, Royaume-Uni), Marta HAVRYSHKO (Clark University – Worcester, États-Unis), Irène GIMENEZ (Sorbonne Université – Paris, France), Elissa MAILANDER (Sciences Po Paris – Paris, France), Regina MÜHLHÄUSER (Hamburger Stiftung zur Förderung von Wissenschaft und Kultur (fondation pour la recherche) – Hamburg, Allemagne), Megan O’MAHONY (London School of Economics – London, États-Unis)

Résumé 

Survivors of the comfort women system at a Wednesday demonstration in front of the Japanese Embassy in Seoul, Credits Tsukasa Yajima

Le séminaire international « Scandalisation et tabou » qui a eu lieu du 21 au 26 avril 2025 avait pour objet d’ouvrir le réseau SVAC fondé en 2008 à une nouvelle génération, avec la participation de trois jeunes chercheuses, et de nouvelles problématiques. Toujours dans une pratique transdisciplinaire (histoire, philosophie, sciences politiques, sociologie, droit) nous avons examiné les processus par lesquels la violence sexuelle dans les conflits armés est rendue visible ou invisible. Quels sont les cas de violences sexuelles liées aux conflits qui sont connus, lesquels à l’inverse demeurent invisibles ? Comment fonctionnent les processus de production et de diffusion des récits (médias traditionnels, réseaux sociaux, enquêtes, rapports d’ONG, tribunaux, militantisme local, débats politiques, etc.). Enfin, quelles méthodologies adopter pour analyser et comprendre ces sources du « visible » et de « l’invisible » ? Sept séances autour d’argumentaires proposés par chacun·e d’entre nous, deux à partir de films et cinq discussion thématiques, ont permis une réflexion collective sur l’état de la recherche dans ce domaine, les conditions de travail et les conditions politiques de la production de connaissances sur ce sujet.  

Summary

The international seminar « Scandalization and Taboo », which took place from April 21 to 26, 2025, aimed to open the SVAC network, founded in 2008, to a new generation, with the participation of three young researchers and new issues. Still in a transdisciplinary practice (history, philosophy, political science, sociology, law), we examined the processes by which sexual violence in armed conflict is made visible or invisible. Which cases of conflict-related sexual violence are known, and which, conversely, remain invisible? How do the processes of production and dissemination of narratives work (traditional media, social networks, surveys, NGO reports, courts, local activism, political debates, etc.). Finally, what methodologies should be adopted to analyze and understand these sources of the “visible” and the “invisible”? Seven sessions based on arguments proposed by each of us, two based on films and five thematic discussions, allowed for collective reflection on the state of research in this field, the working conditions and the political conditions of the production of knowledge on this subject.

Compte rendu

Du 21 au 26 avril, une équipe de douze chercheuses et chercheurs du Groupe international de recherche « Violences sexuelles dans les conflits armés » (SVAC, www.warandgender.net) s’est réunie à la Fondation Les Treilles. Les participant·e·s venaient de France, du Portugal, d’Allemagne, du Royaume-Uni, d’Afrique du Sud et des États-Unis et cet atelier réunissait aussi bien des collègues en début de carrière que des émérites.

Si la violence sexuelle se manifeste au cours des guerres et des conflits de différentes périodes de l’histoire, elle se déroule de manière spécifique selon chaque contexte historique et culturel. Bien que de nombreux travaux sur la violence sexuelle aient été publiés récemment, nous en savons encore étonnamment peu à ce sujet. Les travaux récents soulignent qu’un large éventail de motivations, de raisons et de dynamiques influencent la venue de violences sexuelles. Depuis 2008, le réseau de recherche SVAC vise à faire progresser notre compréhension de ce sujet complexe à travers des échanges interdisciplinaires et internationaux. Lors de réunions et d’ateliers, des scientifiques de différentes disciplines et des experts d’ONG rassemblent des études empiriques et théoriques, comparant des études de cas provenant de différents théâtres de guerre et de conflit, y compris des approches théoriques aux multiples facettes. Le groupe favorise ainsi le développement conjoint des questionnements et des méthodes de recherche.

Le fait que certains actes de violence sexuelle soient visibles et choquent le plus grand nombre, tandis que d’autres restent invisibles donc cachés rend l’analyse difficile, et en particulier la comparaison avec d’autres conflits (actuels ou passés). Lors de l’atelier des Treilles, nous avons examiné les processus par lesquels la violence sexuelle dans les conflits armés est rendue visible ou invisible sous trois angles différents : 

  1. Quels sont les cas de violences sexuelles liées aux conflits qui sont connus et comment ; lesquels à l’inverse demeurent invisibles ?
  2. Comment fonctionnent les processus de production et de diffusion des récits (médias traditionnels, réseaux sociaux, enquêtes, rapports d’ONG, tribunaux, militantisme local, débats politiques, etc.) ?
  3. Quelles méthodologies adopter pour analyser et comprendre ces sources du « visible » et de « l’invisible » ?

Pour discuter de ces questions, chaque participant·e a présenté une étude de cas sous la forme d’un document de synthèse. Tous les documents ont été distribués au groupe à l’avance, puis chacun.e a pu présenter rapidement les points clés de son propos afin d’ouvrir la discussion. Ces études de cas allaient de l’analyse des médias à la construction des récits de survivantes, des représentations en cours au sein des armées aux choix muséographiques, de l’analyse conceptuelle à la discussion philosophique. Au cours de chaque session, nous nous sommes appuyés sur nos travaux pour comparer les similitudes et les différences dans ces processus de visibilité ou d’invisibilité de la violence sexuelle lors de conflits armés.

L’atelier comptait sept sessions organisées à partir des documents de synthèses évoqué ci-dessus, mais également cinq moments de discussions thématiques et deux à partir de la projection de films.

La session d’ouverture a présenté les développements actuels de notre champ de recherche en intégrant des réflexions sur les enjeux politiques actuels et les ambivalences de la visibilité de la violence sexuelle dans les conflits armés, en mettant l’accent sur les perspectives des pays du Sud global.

La deuxième session a exploré l’évolution des conceptions de la violence sexuelle dans les conflits, en se concentrant sur la question de plus en plus visible de la torture et de la violence sexuelle à l’égard des hommes. Les études de cas ont porté sur les médias et le droit français, l’Académie navale américaine et le traitement des prisonniers politiques masculins et féminins pendant la dictature de Franco en Espagne.

La troisième session a examiné la construction de la violence sexuelle dans les médias et les réseaux sociaux. L’étude de cas principale a porté sur la couverture médiatique de la violence sexuelle liée aux conflits au Portugal. Une autre étude de cas a ensuite été abordée dans le cadre d’une analyse collective de trois films d’animation sur les « femmes de réconfort » diffusés sur les réseaux sociaux.

La quatrième session a abordé la question de la remise en cause des représentations dominantes par les témoignages des victimes. L’étude de cas principale a présenté une analyse des témoignages lors des tribunaux internationaux de femmes (Lahore, Tokyo, Le Cap) qui participent à des formes de justice alternative.

La cinquième session a exploré les représentations du viol dans l’attaque du 7 octobre 2023 contre Israël. Les études de cas se sont appuyées sur des études littéraires et culturelles ainsi que sur la philosophie pour décrypter ces représentations controversées.

La sixième session a exploré les représentations et l’éducation du public sur la violence sexuelle à travers deux études de cas portant sur des musées et des sculptures publiques. Ces études de cas ont permis de réfléchir aux enjeux politiques et aux possibilités de représentation de la violence sexuelle dans l’espace public.

La septième session s’est concentrée sur la continuité des pratiques de violence sexuelle en temps de guerre et en temps de paix, avec une étude de cas sur les enseignements à tirer des récents procès pour viol en France dans l’analyse de la violence sexuelle en temps de guerre.

Ces échanges riches et productifs ont permis au groupe d’approfondir ses questionnements méthodologiques dans une démarche résolument interdisciplinaires. Par exemple, il est apparu clairement que l’idée du tabou et du permis était une explication communément acceptée de la violence sexuelle dans les conflits y compris dans la littérature scientifique de nos disciplines. Cependant, dans notre examen comparatif des processus de visibilisation de la violence sexuelle, il est apparu que cette idée ne clarifiait pas l’analyse et n’était pas confirmée par les situations que nous avons discutées. 

Au-delà de l’échange sur les études de cas spécifiques, chaque journée a donné lieu à une réflexion collective sur l’état de la recherche dans ce domaine, les conditions de travail et les conditions politiques de la production de connaissances sur ce sujet, ainsi que les défis spécifiques auxquels sont confrontés ceux qui travaillent dans ce champ de recherche. Cette réflexion collective a également inclus une session en ligne avec d’autres membres du groupe SVAC provenant des États-Unis, d’Inde, du Danemark, d’Autriche, de RDC, de Corée du Sud et de Bosnie. La discussion collective finale a favorisé une réflexion collaborative sur les enseignements tirés et a tracé la voie pour la poursuite de la discussion à l’avenir.

En conclusion, l’atelier « Scandalisation et tabou. La politique et les ambivalences de la visibilité/invisibilité des violences sexuelles dans les conflits armés » a été un franc succès, faisant progresser notre compréhension des représentations de ces violences, des conditions et des processus qui les rendent visibles/invisibles, ainsi que des similitudes et des différences à travers le temps et l’espace. La diversité des cas et des approches a offert une vue d’ensemble du domaine, approfondi nos connaissances et ouvert la voie à de futures recherches.

 


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
ldiebold (21 mai 2025). Scandalisation et tabou. Les politiques et les ambivalences de la visibilité/invisibilité des violences sexuelles dans les conflits armés. Les carnets de la Fondation des Treilles. Consulté le 17 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13zdn