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L’outil, au croisement des arts et sciences

Séminaire FSER organisé à la Fondation des Treilles du 7 au 11 octobre 2024 par Gabrielle Girardeau (lauréate FSER) et Anna Ternon.

Participants

Bruno ALONSO (Institut Charles Gerhardt de Montpellier, UMR 5253, CNRS-UM-ENSCM – Montpellier, France), Joan AYRTON (artiste/chercheuse indépendante – Paris, France), Brune BOYER (LESC (Université Paris Nanterre) – Nanterre, France), Milena CHEVILLARD (RVB BOOKS – Paris, France), Florent CARON DARRAS (Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris – Paris, France), Camille FUZIER (LPSM – CNRS 8001 – Sorbonne Université – Paris, France), Gabrielle GIRARDEAU (Institut du Fer à Moulin, U1270, Inserm, Sorbonne Université – Paris, France), Pierre JANIN POTIRON (Laboratoire d’Astrophysique de Marseille – Marseille, France), Nina KESSLER (Université de Bordeaux – Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux – Pessac, France), Cynthia MAGNEN (MSHS Toulouse / CNRS – Toulouse, France), Pauline PROVINI (Muséum National d’Histoire Naturelle – Paris, France), Fadl RAAD (Université de Corse – Corte, France), Lina SCHLAGETER (Association Communication Non Verbale – Paris, France), Sébastien SOUCHON (Les éditions extensibles – Paris, France), Anna TERNON (École normale supérieure de Paris – Paris, France), Julie VACHER (Association Communication Non Verbale – Aubervilliers, France), Claire WILLIAMS (Association Communication Non Verbale – Bruxelles, Belgique).

Résumé

Photo de Miléna Chevillard

Nous avons proposé une réflexion théorique et pratique sur les conditions d’émergence de pensées et de formes situées à la croisée des arts et des sciences. À partir d’une démarche de recherche-création, nous interrogeons les modalités et les finalités de collaborations transdisciplinaires, au-delà des rapports utilitaristes où art et science se mettent mutuellement au service l’un de l’autre. Le séminaire-action intitulé « L’Outil, au croisement des arts et sciences », tenu à la Fondation des Treilles en octobre 2024, a réuni huit artistes et huit scientifiques de disciplines variées. L’hypothèse fondatrice du projet considère que l’identification, le partage et l’expérimentation d’outils, matériels et immatériels, peuvent favoriser une véritable résonance entre pratiques artistiques et scientifiques. Le séminaire a donné lieu à des présentations orales suivies d’expérimentations concrètes, mettant en jeu les outils apportés par les participant·es et débouchant sur des formes hybrides. Ces pratiques visent à instaurer un espace de recherche fondamentale transdisciplinaire, propice à l’exploration, à l’errance créative et à la remise en question des cadres normatifs de production du savoir. Une publication collective rendra compte de cette expérience, dans une volonté de documenter les formes émergentes de la rencontre entre art et science.

Summary

We proposed a theoretical and practical reflection on the conditions for the emergence of thoughts and forms located at the crossroads of the arts and sciences. Based on a research-creation approach, we question the modalities and purposes of transdisciplinary collaborations, beyond the utilitarian relationships where art and science mutually serve each other. The action seminar entitled “The Tool, at the Crossroads of the Arts and Sciences”, held at the Fondation des Treilles in October 2024, brought together eight artists and eight scientists from various disciplines. The founding hypothesis of the project considers that the identification, sharing and experimentation of tools, both material and immaterial, can foster a true resonance between artistic and scientific practices. The seminar gave rise to oral presentations followed by concrete experiments, bringing into play the tools brought by the participants and leading to hybrid forms. These practices aim to establish a space for transdisciplinary fundamental research, conducive to exploration, creative wandering, and the questioning of normative frameworks for knowledge production. A collective publication will report on this experience, with a desire to document the emerging forms of the encounter between art and science.

Compte rendu

Comment produire une pensée et des formes qui se situent à la croisée des arts et des sciences ? Une pensée et des formes qui empruntent équitablement à ces deux champs de savoirs théorico-pratiques, pour proposer une alternative à un rapport souvent utilitariste qui met la technologie au service de la production artistique ou l’art au service de la communication scientifique au grand public?

Ces interrogations, nées dans le contexte d’une collaboration en recherche-création, s’inscrivent dans un contexte plus général où les collaborations entre artistes et scientifiques, tous domaines artistiques et scientifiques confondus, sont de plus en plus encouragées et financées. Collaborer, oui, mais comment, à quelles fins et pour produire quel(s) objet(s)? Souvent, la réponse à cette question est adressée par un commanditaire qui, selon l’appel à candidature, peut se trouver du côté des arts ou de celui des sciences. Et souvent, il faut le dire, l’objet qui en résulte glisse du côté des arts, peut-être parce que les sciences, contraintes par la nécessité de produire un savoir scientifique normé, ne savent que faire de ces objets hybrides.

« Le malheur est que la spécialisation incline le savant à toujours s’enfoncer dans la même direction et ne lui facilite pas la découverte, la vision, l’imagination de perspectives révolutionnaires » écrivait Roger Caillois dans son Nouveau plaidoyer pour les sciences diagonales[1]. Nos discussions transdisciplinaires et les projets auxquels elles ont abouti nous font rejoindre le propos de Roger Caillois et nous ont progressivement engagées à chercher les moyens, les outils et les méthodes qui favorisent une pratique de recherche véritablement transdisciplinaire. Pour cela, il nous fallait revenir aux méthodes de travail propres à chaque contexte de recherche. Nous nous sommes donc demandé·es de quelles façons, avec quels moyens et dans quels buts fait-on recherche ? Puis, nous avons précisé nos questionnements autour de la notion d’outil : quels sont les outils des scientifiques et quels sont ceux des artistes ? Désigner nos outils, les identifier et les réfléchir offre la possibilité de trouver, au sein même de nos processus de recherche et de production, la possibilité d’une résonance entre les domaines scientifiques et artistiques. La notion d’outils interroge un ensemble de pratiques réflexives et matérielles induisant des modes d’utilisation individuels et collectifs, des postures physiques et symboliques, une transmission des savoirs, et des héritages croisés. Nous avons compris que nos outils de travail ne sont pas seulement ceux, très matériels, de l’expérimentation et de l’analyse : instruments de mesure, logiciels d’analyse et de création d’images et de données, pinces, pinceaux, burins, pipettes. Mais qu’ils procèdent parfois d’une immatérialité et se situent en amont comme en aval de la stricte phase expérimentale : la méthode de questionnement, l’identification d’une problématique scientifique ou artistique, d’un inconnu pertinent à explorer grâce aux outils bibliographiques, la communication des résultats de production (œuvres ou expériences). Nous avons ainsi formulé l’hypothèse selon laquelle identifier et partager ces outils pourra nous mener vers des réflexions et pratiques art-science résolument fusionnelles et égalitaires. Comme dans tout projet de recherche, une fois l’hypothèse établie, il faut passer à l’expérimentation. Nous avons donc formulé une proposition de séminaire de recherche-action à la Fondation des Treilles pour huit artistes et huit chercheur·es scientifiques, afin de trouver, collectivement, des manières de faire transdisciplinaires, depuis des pratiques artistiques et scientifiques très éclectiques: arts visuels et plastiques, astrophysique, composition musicale, géologie, bijouterie, chimie des matériaux, psycholinguistique, littérature, biophysique, neuroscience, anthropologie. L’invitation à participer à ce séminaire comprenait la possibilité, pour les participant·es, d’apporter une partie de leurs outils de travail, afin de pouvoir nous en servir lors du séminaire.

Accueillie par la Fondation des Treilles en octobre 2024, cette recherche collective de quatre jours avait pour objectif l’expérimentation, sans contrainte de production.Nous avons proposé que la réflexion orale soit, chaque jour, le préambule à des expériences matérielles. Ainsi, les journées ont débuté par quatre présentations courtes de forme libre, donnant  l’occasion à chaque participant·e d’aborder plus précisément ses thématiques et outils de recherche. Cette première partie de matinée amorçait les discussions en mettant en lien les différents points abordés par les présentateur·ices du jour. Ces mises en lien, ces résonances de sujet, de processus de travail, d’instruments et autres, ont permis chaque jour d’imaginer des expérimentations matérielles, réalisées grâce aux outils apportés par chacun·e : An Atomic Delirium, la photogrammétrie d’une étoile, un artefact de bijou d’une civilisation disparue, des micro-suminagashis, et bien d’autres essais ont permis la mise en place de véritables expériences de co-création.

Puis, une fois l’expérience achevée, comment en rendre compte ? Le séminaire-action “L’outil” fera l’objet d’une publication, rendue possible par la participation de Milena Chevillard au séminaire en tant qu’éditrice afin de prendre part à cette expérience et de nous accompagner dans sa restitution. Dans ce livre, il sera question de proposer un aperçu de ces tentatives transdisciplinaires, de leur caractère empirique, d’un endroit où les arts et les sciences se rencontrent. Cet endroit, c’est celui de la recherche fondamentale, un espace au sein duquel on peut prendre le temps d’errer, d’aller chercher complètement ailleurs, et d’accumuler les égarements. C’est au domaine des Treilles que nous avons pu créer ce précieux moment d’errance collective.

[1] CAILLOIS Roger, “Nouveau plaidoyer pour les sciences diagonales” in Cases d’un échiquier, Paris, Gallimard, 1970


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
ldiebold (8 avril 2025). L’outil, au croisement des arts et sciences. Les carnets de la Fondation des Treilles. Consulté le 25 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13pn6