Regards croisés « sciences et art » sur les grands fonds marins

Petit séjour d’étude de Marie-Charlotte Bellinghery (Illustratrice), Sophie Gambardella (UMR DICE 7318), Séverine Martini (UMR MIO 7294), Pascale Ricard (UMR DICE 7318).

Résumé

Le petit séjour d’étude intitulé « Regard croisés « sciences et art » sur les grands fonds marins » a réuni une équipe de quatre personnes : une océanographe, une illustratrice et deux juristes. L’objectif de la résidence était de construire le story board d’une bande-dessinée sur les grands fonds marins, à destination du grand public, en croisant les regards disciplinaires pour déconstruire les idées reçues sur ce milieu parfois perçu comme anxiogène.

Abstract

The short study visit entitled ‘Science and art: a cross-disciplinary look at the deep seabed’ brought together a team of four people: an oceanographer, an illustrator and two lawyers. The aim of the residency was to draw up the storyboard for a comic strip on the deep sea, aimed at the public, by crossing disciplinary viewpoints to deconstruct preconceived ideas about this environment, which is sometimes perceived as anxiety-provoking.

Compte rendu

En 2017, les Nations Unies ont lancé la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030) afin de mobiliser les acteurs intéressés du monde entier pour une meilleure connaissance de ce milieu. Parmi les dix défis de la décennie des océans, le défi 9 s’intitule : Compétences, connaissances et technologies pour tous. Il invite à développer les connaissances scientifiques sur les océans mais aussi à les partager et à les diffuser. Ainsi, si cette décennie doit permettre de multiplier les projets de recherche, de faire dialoguer les disciplines autour de ce thème commun, elle doit aussi permettre que chacun d’entre nous soit davantage éclairé sur les enjeux océaniques en renforçant les ponts entre les scientifiques et la société mais aussi entre la science et la décision. Dès lors, intégrant cette double dimension, nous avons construit le projet ABYSSES (80 PRIME – MITI CNRS) sur les grands fonds marins coordonné par Sophie Gambardella et Pascale Ricard, qui réunit des chercheurs de sept disciplines différentes, en pensant à la fois le renforcement des connaissances scientifiques par le dialogue des disciplines mais aussi avec une volonté de développer l’« Ocean Literacy », c’est-à-dire la connaissance de l’océan par tous. En effet, si jusqu’à récemment les grands fonds marins faisaient peu l’objet d’attention de la part des médias et de la société civile, la perspective d’une exploitation minière prochaine des grands fonds marins s’est renforcée depuis la volonté affichée en ce sens de l’État de Nauru en 2021, au sein de l’Autorité internationale des fonds marins (ci-après AIFM)[1].

L’Autorité internationale des fonds marins est l’organisation internationale, créée par la Conventions des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, qui a en charge la délivrance des contrats d’exploration et d’exploitation des ressources minérales marines des grands fonds marins internationaux. Si des activités d’exploration ont lieu depuis une vingtaine d’années dans cet espace, et notamment dans la zone de Clarion-Clipperton riche en nodules polymétalliques, aucune activité d’exploitation n’a encore débuté. Or, depuis que l’État de Nauru a déclaré vouloir patronner une entreprise – The Metals Company – pour l’exploitation de ces ressources, deux positions s’affrontent sur la scène internationale. D’un côté, les États et les entreprises favorables pour débuter l’exploitation et d’un autre côté, des États, des entreprises, et des ONG qui demandent un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds marins, c’est-à-dire une interdiction temporaire de l’exploitation afin de recueillir davantage de données scientifiques sur les potentiels effets d’une telle activité sur le milieu marin[2]. Face à cet agenda international, les médias se sont emparés du sujet en multipliant les articles et les reportages sur les grands fonds marins[3]. Toutefois, cet affolement médiatique lié à l’urgence de la situation a mis en exergue le manque de connaissance dans la société civile de ce milieu et des enjeux autour de sa conservation. La réalisation d’une bande-dessinée sur les grands fonds marins a donc pour objectif de mettre à disposition du grand public un support pédagogique, accessible et inclusif sur les grands fonds marins afin de renforcer la « culture de l’océan ». Cette bande-dessinée s’inscrit, par ailleurs, dans la continuité d’un parcours pédagogique itinérant construit avec l’équipe scientifique du projet ABYSSES ainsi que Macha Bellinghery et Claire Marc pour respectivement les illustrations et la médiation scientifique[4].

La résidence à la fondation Treilles a ainsi réuni une équipe de quatre personnes dont deux juniors. L’équipe était constituée d’une océanographe (Séverine Martini), d’une illustratrice (Macha Bellinghery) et de deux juristes (Sophie Gambardella et Pascale Ricard). Le but de la résidence était de construire le story board de la bande-dessinée en croisant nos regards disciplinaires. La bande-dessinée se structure en cinq chapitres articulés autour de grandes questions permettant de déconstruire les trois grandes idées reçues sur les grands fonds marins à savoir : les grands fonds marins sont éloignés et inconnus ; ils sont vides, noirs et silencieux et ; sans relation avec nos sociétés humaines. Chaque chapitre est introduit par six pages de planches de bandes dessinée qui sont suivies de quatre pages de texte ayant pour objectif de permettre au lecteur d’aller plus loin dans la découverte des grands enjeux scientifiques liés à la thématique du chapitre. Lors de la résidence, nous avons, d’un point de vue méthodologique, abordé un chapitre par jour afin de penser l’articulation de la partie illustrée avec la partie rédigée. La création et la rédaction de chaque chapitre a fait l’objet de longs débats sémantiques, chaque discipline peinant dans l’exercice de simplification de son langage. Nos interrogations ont alors été les suivantes : Quels termes du jargon disciplinaire pouvons ou devons-nous conserver ? pour quelles raisons et à quelles conditions ? devons-nous les définir ? Lesquels a contrario peuvent ou doivent-ils être remplacés ? pour quelles raisons ? La résidence a ainsi permis de renforcer le degré d’interdisciplinarité de notre travail en nous permettant une acculturation réciproque et en nous donnant l’occasion d’identifier les biais de perception entre les disciplines. Ce séjour nous a invité à repenser notre manière de communiquer dans et sur notre discipline. Enfin, ce séjour a permis au-delà du travail autour de la bande-dessinée, de faire émerger des questions de recherche communes telle que la définition même des grands fonds marins.

Le travail interdisciplinaire se construit au grès des rencontres humaines et des liens qui se tissent pour créer le climat propice à une écoute réciproque d’un discours à première vue peu décryptable depuis sa propre discipline. Or, la construction de ce contexte de recherche nécessite d’une part, un temps de recherche plus long et d’autre part, un temps « suspendu » c’est-à-dire dédié entièrement à cette réflexion afin que chaque chercheur soit suffisamment disponible psychologiquement pour faire l’effort de s’ouvrir pleinement aux autres disciplines. La Résidence des Treilles nous a offert ce temps de qualité pour construire un véritable travail interdisciplinaire.

La bande-dessinée sera publiée en avril 2025 aux Editions du CNRS.

[1] https://www.isa.org.jm

[2] En novembre 2024, 32 États se sont positionnés en faveurs d’un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds marins dont notamment la France.

[3] Voir par exemple pour le seul mois de septembre 2024 :   28.09.2024 – Cook Island News : Thomas Tarurongo Wynne: The deeper debate on deep-sea mining ; 27.09.2024 – Les Echos : L’inquiétante conquête des grands fonds marins a commencé ; 27.09.2024 – The Conversation : The biological marvels of the seabed are being mined to create commercial products – here are the risks ; 25.09.2024 – Post Courier Papua New Guinea : Nauru’s President Adeang calls for urgent action on Climate, Ocean mining, and UN reform at UNGA ; 24.09.2024 – Pour la Science : De l’« oxygène noir » produit dans les abysses ; 21.09.2024 – Cook Island News : Deep sea dilemma: Cook Islanders weigh the cost of mineral riches ; 20.09.2024 – Libération (Tribune) : En 2025, protégeons les grands fonds marins plutôt que de les exploiter ; 20.09.2024 – Greenpeace : Deep Sea Mining in the Arctic: Living Treasures at Risk ; 08.09.2024 – Le Monde (Tribune) : « Le chalutage et l’exploitation minière des grands fonds marins représentent le contraire de ce dont l’océan a besoin » ; 04.09.2024 – RFI : Fonds marins: The Metals Company, du plancher de l’océan aux remous du Nasdaq, une entreprise minière sous pression ; 27.08.2024 – Radio1 Tahiti : Une « large majorité » des pays du Forum est contre l’exploitation minière sous-marine. 

[4] L’exposition est disponible en pdf ici : https://scienceotheque.univ-amu.fr/fr/deep-sea